Mes lectures :
Marc Maillé, mystère et boule de gomme
Dans son titre le plus récent, Silence, on tourne la page, Marc Maillé nous propose un roman policier intriguant et léger. Il ne nous donne pas la frousse. Il se permet toutefois de citer quelques pratiques sordides, sans trop donner de détails. Par contre, l’homosexualité de l'enquêteur est fort pertinente. Il est agréable de constater que cette homosexualité soit acceptée par tous, sans froncement de sourcils.
C'est la force de Marc Maillé que de pouvoir parler d'orientation sexuelle tout bonnement, comme un simple fait bien accepté.
« J’écris pour mettre de l’ordre en moi, pour exister simultanément à mes propres yeux et dans ceux des autres et aussi pour ressentir la fierté de l’artisan qui a façonné un bel objet.»
J’ai rencontré Marc Maillé il y a trois ans dans le cadre d’une soirée littéraire à Montréal. Ce grand gaillard costaud mais timide est un auteur surprenant et perspicace, dont l’appréciation de la condition humaine au travers ses romans intrigants ferait envier plus d’un psychologue.
Marc a toujours aimé écrire probablement grâce aux religieuses de son village qui, outre le catéchisme, accordaient beaucoup d’importance au français.
« En sixième et septième année, elles nous imposaient une activité quotidienne, la rédaction-éclair. Il s’agissait d’écrire, en quinze minutes seulement, sur un thème fourni, un texte qui devait bien se tenir. Le vendredi, la mère supérieure venait féliciter en personne ceux qui avaient écrit les plus originaux, les plus cohérents et les mieux tournés et elle pointait du doigt, avec dédain, ceux qui avaient osé défier la morale chrétienne. »
Dans l’écriture, la poésie, le futur auteur trouvait un exutoire.
« Le temps que je mettais à trouver les mots justes et à les faire sonner, j’oubliais le malstrom de mes émotions. Mes manières manquaient de virilité aux yeux des autres et j’étais donc la proie de moquerie voire de harcèlements et d’agressions de la part de malabars narcissiques. La bibliothèque constituait un doux refuge où je pouvais lire et écrire sans être ennuyé. C’est là que s’est épanoui mon goût pour les lettres. »
J’ai lu tous les titres publiés de Marc. S'ajoutent donc à Silence, on tourne la page, Hors de l’eau, À corps troublants et De la couleur du sang. Les deux derniers titres sont des thrillers palpitants. Plusieurs personnages sont gais, mais l’intrigue n’est pas exclusivement homosexuelle. Marc aime le mystère, il maîtrise très bien le style, et la présence gaie ne fait qu’ajouter à l’histoire qu’il raconte. Par contre Hors de l’eau, un roman fantaisiste racontant l’histoire d’un enfant-poisson, va au cœur de thèmes importants pour notre communauté, la tolérance, accepter l’autre tel qu’il est, s’accepter tel qu’on est.
Ce roman a certainement été inspiré par la jeunesse difficile de Marc.
« Je crois avoir toujours été gay, mais les circonstances m’ont poussé à me détourner de moi-même très longtemps. Je viens d’un village des Laurentides où l’éducation était fournie par des religieuses. La présence très forte de l’Église catholique, l’inculcation de ses croyances, m’a conduit à fuir les relations homosexuelles que j’entretenais avec un voisin de mon âge. Je me sentais extrêmement coupable de l’immense plaisir qu’elles me procuraient. Une grande partie de ma vie, j’ai refoulé mes penchants avant de me libérer de mes craintes. J’ai même vécu pendant huit ans avec une femme. Dans cette période, je suis devenu père d’une merveilleuse fille. »
Marc a trouvé un certain refuge dans la littérature. L’aventure, le mystère, l’histoire, mais aussi les gens exclus différents lui permettaient de s’évader un moment. Il a été attiré d’abord, comme beaucoup de jeunes, par la bande dessinée, dont celles de Mandrake le magicien. Puis les romans pour ados, comme Bob Morane.
« Mes lectures ont varié au fil du temps. Sans avoir de préférence pour un auteur en particulier, je peux dire que j’aime la littérature qui présente des êtres marginaux dans un cadre historique particulier. Dans cette catégorie, je citerai deux exemples : Le Nain de l’ombre de David Madsen et Ille d’Alexeï Slapovski. »
Et c’est dans le cadre de ses études (baccalauréat en études françaises, maitrise en création littéraire et doctorat en sémiotique) qu’il découvre la littérature gaie.
« Au hasard du temps, j’ai pu constater la présence d’une sensibilité homosexuelle chez des auteurs comme Verlaine, Proust et Gide dont le Corydon m’a bousculé intérieurement. On y soulignait la présence de l’homosexualité chez les animaux. À cette époque, je vivais dans le refus de mon inclination, que je ne croyais pas naturelle. Je ne m’étais pas encore débarrassé du poids de la réprobation sociale intériorisée. »
Ce poids a servi aussi d’inspiration à l’écrivain.
« Je crois que nous sommes tous le centre d’un monde chargé d’expériences qui nous ont forgés et qui définissent notre rapport aux autres. Nous agissons grâce à elles et à travers nos gestes, mais aussi par nos discours, lesquels sont des actes de langage visant à nous inscrire comme personne à part entière au sein de notre communauté humaine. Je veux dire que chaque élément vécu peut constituer une source d’inspiration. Chaque lecture, chaque visionnement de film, chaque événement qui survient sur la planète peut nourrir notre imaginaire. En artisan du verbe, nous manipulons le torrent des voix qui se chevauchent en nous, nous les ordonnançons en fonction de nos vies pour offrir en microcosme un monde personnel sous la forme d’un roman, d’une nouvelle ou d’un poème. »
Selon Marc Maillé, inclure des personnages gais et des thèmes gais dans ses romans est « la manifestation saine de sa propre existence en tant que personne distincte au sein d’un groupe majoritairement hétérosexuelle ». Il croit primordiale la présence des gais dans les textes littéraires, pour affirmer leur participation à la vie sociale.
« Chaque lecteur gay peut établir des liens profitables entre ses expériences de vie et celles inscrites dans les œuvres lues. Chacun doit y trouver le sentiment de ne pas être seul et la force de s’assumer dans sa différence. »
Marc inclut des personnages gais dans ses romans, certains sont ses héros. Il veut fournir des gais héroïques.
« Il n’y a pas suffisamment de gays enviables, propres à servir de modèles, à tenir lieu d’hommes brillants pouvant susciter la fierté. Pour donner une place juste et équitable aux gays. Trop souvent, les personnages gays en littérature ou au cinéma renvoient une image négative de l’homosexuel. Soit il est ridicule soit il est méchant. Il faut mettre fin à ces clichés préjudiciables. C’est pourquoi j’ai choisi de faire de mes personnages gays d’admirables combattants pour la justice. »
Que pense Marc Maillé de la littérature gaie ?
« Il s’agit sûrement de la question la plus difficile. S’il faut absolument la définir, je dirais que la littérature gay est celle qui présente un imaginaire appartenant en propre à celui dont la vision du monde est déterminée par son désir pour des êtres de chair qui lui sont semblables. »
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