GREGG avec une Diva d'Amsterdam

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Souvenir d'Amsterdam - août 2015

jeudi 25 septembre 2014

Entretien avec Karim Deya, écrivain sénégalais, Son premier roman - J'attends mon mari - Le cri de jeunes « Goor jigen »,


 
Suite à la lecture du livre de Karim Deya,
je lui aie proposé une conversation publique.
Il a accepté de se prêter au jeu.
 
À la fin si vous désirez vous pouvez poursuivre le bavardage avec lui... en nous écrivant dans la section commentaire.
Karim y répondra dans les jours qui suivent 

         Gregg
  Commençons... Je vous demanderai une courte autobiographie... Qui est Karim Deya ?

Qui suis-je? Peut-être est-ce là une question-boîte susceptible de contenir un tas de choses et à laquelle je ne saurais répondre par une estafilade de mots parce que la réponse pourrait être tout bonnement: "Je suis Karim Deya"... Au fond, l'autobiographie n'est pas mon fort. A l'ordinaire, je suis même sujet à une sorte de réserve qui me fait méconnaître comment présenter ma propre personne à la ronde. Dois-je en l'espèce me limiter à de strictes références d'état-civil, aux armoiries sociales, ou bien découvrir toute la hotte des idées auxquelles je m'identifie... Je suis de nationalité ivoirienne, domicilié à Abidjan, licence de droit privé, 29 ans...
On dit que le premier roman est souvent autobiographique, J'attends mon mari... il l'est jusqu'à quel point ?
 
 
J'attends mon mari est mon premier roman publié. Antérieurement, j'ai écrit d'autres textes qui restent inédits à ce jour. Il serait peut-être plus exact de dire que l'auteur n'est jamais étranger à son œuvre. Car d'une façon ou d'une autre, sciemment ou non, l'auteur marque son œuvre de son intime estampille. Parce que celle-ci n'est pas purement issue de quelque delirium tremens dont il serait la proie, que sa raison, sa conception du monde, ses lueurs, ses ténèbres, ses rêveries, ses frayeurs ou ses hantises y prennent nécessairement une part royale. Toute œuvre est autobiographique par essence en ce qu'elle plonge le lecteur dans un abîme particulier de l'intellect humain, et qui représente le rapport privé de l'auteur au monde... Mais si nous voulons définir l'autobiographie comme le récit en due forme d'un pan de la vie privée de l'auteur par lui-même, la clé autobiographique essentielle dans ce livre consiste dans l'état de surdité du personnage Thiossane...
En 2014, l'histoire de Thiossane est encore une situation vécue par de nombreux jeunes homosexuels africains. Votre roman semble être un grand cri du cœur qui doit être entendu au-delà des frontières...
Je puis, oui, récapituler le fond de ce livre par un seul questionnement : comment deux hommes épris l’un de l’autre peuvent-ils faire face aux vicissitudes de la condition socio-légale qui est la leur dans l’actuel Sénégal, et aussi celle de la plupart des homosexuels noirs africains de notre temps en leur pays ? Il s'agit évidemment d'un sujet de société qui colle à l'actualité et qui divise... Une conscience collective reste encore à définir, notamment en Afrique où de peur d'être stigmatisés ou traités d'afro-pessimistes, les gens se complaisent dans l'horreur de l'homophobie. Je suis la dernière personne à laquelle l'étiquette d' "afro-pessimiste" puisse être attachée. Mais par ce livre, je me suis rebellé à mon humble niveau contre l'entreprise de démolition systématique du droit au respect de la vie privée, contre le mode africain contemporain de penser la sexualité, qui ne produit sous nos yeux que des frustrés, des refoulés, des mal baisés, des sadiques et des tortionnaires.
Avez-vous des projets d'écriture en route?
Oui, j'ai des projets romanesques en train. L'écriture m'est nécessaire et assure mon équilibre.
Quel serait votre vœu le plus fou en tant qu'auteur? Avant de répondre à cette question, je reviens sur vos derniers mots, pourquoi ce besoin d'écrire?  
Vous savez, dans le contexte africain contemporain, l'acte d'écrire est en soi un vœu de folie. Parce que vous êtes face à une société aux prises avec des manipulations culturelles subliminales, des crispations identitaires, un substrat originel et une somme d'histoire socio-anthropologique niés au fil des époques; une société à lectorat très faible de surcroit, et qu'il faut pourtant tenter de conscientiser à travers des livres. Dans ce champ socio-culturel où tant de questions restent encore à défricher, ne pas succomber à l'écriture ne me laisse pourtant aucune autre issue que des salves de bâillement, à longueur de journées. Ecrire en Afrique ou sur l'Afrique, c'est exécuter un numéro avec une telle verve que personne ne se doute de la tragédie qu'elle cache.
 
Karim Deya veut écrire de l'intérieur de l'Afrique... ou l'exil serait-il un chemin possible pour l'écrivain?
Le terme "exil" revêt un cachet d'obligation qui le rend douloureux à mes yeux. Il suppose une situation de bannissement, d'arrachement, de séparation brutale, d'expulsion hors des lieux du principal établissement. "Expatriation" à une connotation plus tendre, me semble-t-il, et dans le sens de ma construction en tant qu'écrivain, c'est une voie non seulement possible mais probable. Au demeurant, je ne suis pas particulièrement attaché aux espaces. Mon africanité est une denrée génétique que j'emporterai partout avec moi.
Quel trait la surdité de Thiossane pourrait-elle caractériser du peuple africain?
 
 
Dans un premier temps, le fait de la surdité de Thiossane, le personnage-narrateur, tend davantage à renforcer sa marginalité intrinsèque qu'à caractériser un quelconque trait du peuple africain dans sa globalité. Ensuite, cet état de surdité peut se concevoir en tant que la valeur-signe de la témérité des activistes homosexuels africains qui militent urbi et orbi, parfois au prix de leur vie, pour une levée des discriminations liées à l'orientation sexuelle dans leur pays. Face à l'hostilité ambiante, il faut bien que ces activistes fassent raisonnablement preuve d'une certaine surdité pour continuer d'avoir le moyen de leur politique, pour pouvoir poursuivre sur la lancée de bravoure qui les jette sur la trace de la moindre manifestation homophobe. Autrement, s'ils devaient prêter l'oreille à toutes les insultes, aux tristes rengaines anti-gay et souvent religieuses, aux menaces verbales dont ils font l'objet au quotidien, je pense qu'ils auraient tous jeter l'éponge de ce combat pourtant pertinent... La surdité de Thiossane explique également en partie la manière dont le récit est mené et répond à une psychologie particulière, un cheminement de la pensée, à la fois direct et saccadé, ordonné et détourné, profond et complexe, propre aux déficients auditifs. Je puis l’affirmer avec certitude parce que je suis moi-même sourd depuis l’âge de 9 ans, que j’ai très bien connu le monde des sons avant de perdre la faculté de l’ouïe. Le texte est narré à la première personne du singulier de telle façon qu’il est inévitable qu’au moins dans la forme, les caractéristiques principales du narrateur y soient incarnées. Celui-ci est effectivement homosexuel, et l’histoire qu’il relate a essentiellement trait à sa condition d’homosexuel. Mais il est également sourd, de sorte que l’évocation de sa réalité homosexuelle se fait normalement à travers le prisme de la surdité. Par l’agencement et par le rythme du texte, j’ai donc voulu suggérer les réactions de la conscience lorsqu’elle se trouve en butte à l’univers des sons. Le sujet sourd a tendance à recréer inconsciemment, dans la formulation de sa pensée, les sons qu’il n’entend pas. Aussi va-t-il toujours du détail pour dire l’essentiel, il est impulsif, émotif, a de très fréquents moments d’ « absence », de rêverie, de « vase clos » que ne parviennent à briser que de francs contacts physiques ou des chocs visuels.
Je voudrais vous remercier de ce brin de conversation... Je me permets de la laisser ouverte au lecteurs de notre Webzine qui souhaiteraient vous poser d'autres questions...
Je suis disposé à répondre, avec plaisir, aux questions éventuelles des lecteurs. Merci.
Un gros merci ! Vous avez une question pour Karim Deya ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 


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