Suite à la lecture du livre de Karim Deya,
je lui aie proposé une conversation publique.
Il a accepté de se prêter au jeu.
À la fin si vous désirez vous pouvez poursuivre le bavardage avec lui... en nous écrivant dans la section commentaire.
Karim y répondra dans les jours qui suivent
•
Gregg
• Commençons... Je vous demanderai une courte
autobiographie... Qui est Karim Deya ?
Qui suis-je? Peut-être est-ce
là une question-boîte susceptible de contenir un tas de choses et à laquelle je
ne saurais répondre par une estafilade de mots parce que la réponse pourrait
être tout bonnement: "Je suis Karim Deya"... Au fond, l'autobiographie
n'est pas mon fort. A l'ordinaire, je suis même sujet à une sorte de réserve
qui me fait méconnaître comment présenter ma propre personne à la ronde.
Dois-je en l'espèce me limiter à de strictes références d'état-civil, aux
armoiries sociales, ou bien découvrir toute la hotte des idées auxquelles je
m'identifie... Je suis de nationalité ivoirienne, domicilié à Abidjan, licence
de droit privé, 29 ans...
On dit que le premier roman
est souvent autobiographique, J'attends mon mari... il l'est jusqu'à quel point
?
J'attends mon mari est mon
premier roman publié. Antérieurement, j'ai écrit d'autres textes qui restent
inédits à ce jour. Il serait peut-être plus exact de dire que l'auteur n'est
jamais étranger à son œuvre. Car d'une façon ou d'une autre, sciemment ou non,
l'auteur marque son œuvre de son intime estampille. Parce que celle-ci n'est
pas purement issue de quelque delirium tremens dont il serait la proie, que sa
raison, sa conception du monde, ses lueurs, ses ténèbres, ses rêveries, ses
frayeurs ou ses hantises y prennent nécessairement une part royale. Toute œuvre
est autobiographique par essence en ce qu'elle plonge le lecteur dans un abîme
particulier de l'intellect humain, et qui représente le rapport privé de
l'auteur au monde... Mais si nous voulons définir l'autobiographie comme le
récit en due forme d'un pan de la vie privée de l'auteur par lui-même, la clé
autobiographique essentielle dans ce livre consiste dans l'état de surdité du
personnage Thiossane...
En 2014, l'histoire de
Thiossane est encore une situation vécue par de nombreux jeunes homosexuels
africains. Votre roman semble être un grand cri du cœur qui doit être entendu
au-delà des frontières...
Je puis, oui, récapituler le
fond de ce livre par un seul questionnement : comment deux hommes épris l’un de
l’autre peuvent-ils faire face aux vicissitudes de la condition socio-légale
qui est la leur dans l’actuel Sénégal, et aussi celle de la plupart des
homosexuels noirs africains de notre temps en leur pays ? Il s'agit évidemment d'un
sujet de société qui colle à l'actualité et qui divise... Une conscience
collective reste encore à définir, notamment en Afrique où de peur d'être
stigmatisés ou traités d'afro-pessimistes, les gens se complaisent dans
l'horreur de l'homophobie. Je suis la dernière personne à laquelle l'étiquette
d' "afro-pessimiste" puisse être attachée. Mais par ce livre, je me
suis rebellé à mon humble niveau contre l'entreprise de démolition systématique
du droit au respect de la vie privée, contre le mode africain contemporain de
penser la sexualité, qui ne produit sous nos yeux que des frustrés, des
refoulés, des mal baisés, des sadiques et des tortionnaires.
Avez-vous des projets
d'écriture en route?
Oui, j'ai des projets
romanesques en train. L'écriture m'est nécessaire et assure mon équilibre.
Quel serait votre vœu le plus
fou en tant qu'auteur? Avant de répondre à cette question, je reviens sur vos
derniers mots, pourquoi ce besoin d'écrire?
Vous savez, dans le contexte
africain contemporain, l'acte d'écrire est en soi un vœu de folie. Parce que
vous êtes face à une société aux prises avec des manipulations culturelles
subliminales, des crispations identitaires, un substrat originel et une somme
d'histoire socio-anthropologique niés au fil des époques; une société à
lectorat très faible de surcroit, et qu'il faut pourtant tenter de
conscientiser à travers des livres. Dans ce champ socio-culturel où tant de
questions restent encore à défricher, ne pas succomber à l'écriture ne me
laisse pourtant aucune autre issue que des salves de bâillement, à longueur de
journées. Ecrire en Afrique ou sur l'Afrique, c'est exécuter un numéro avec une
telle verve que personne ne se doute de la tragédie qu'elle cache.
Karim Deya veut écrire de
l'intérieur de l'Afrique... ou l'exil serait-il un chemin possible pour
l'écrivain?
Le terme "exil"
revêt un cachet d'obligation qui le rend douloureux à mes yeux. Il suppose une
situation de bannissement, d'arrachement, de séparation brutale, d'expulsion
hors des lieux du principal établissement. "Expatriation" à une
connotation plus tendre, me semble-t-il, et dans le sens de ma construction en
tant qu'écrivain, c'est une voie non seulement possible mais probable. Au
demeurant, je ne suis pas particulièrement attaché aux espaces. Mon africanité
est une denrée génétique que j'emporterai partout avec moi.
Quel trait la surdité de
Thiossane pourrait-elle caractériser du peuple africain?
Dans un premier temps, le
fait de la surdité de Thiossane, le personnage-narrateur, tend davantage à
renforcer sa marginalité intrinsèque qu'à caractériser un quelconque trait du
peuple africain dans sa globalité. Ensuite, cet état de surdité peut se
concevoir en tant que la valeur-signe de la témérité des activistes homosexuels
africains qui militent urbi et orbi, parfois au prix de leur vie, pour une
levée des discriminations liées à l'orientation sexuelle dans leur pays. Face à
l'hostilité ambiante, il faut bien que ces activistes fassent raisonnablement
preuve d'une certaine surdité pour continuer d'avoir le moyen de leur
politique, pour pouvoir poursuivre sur la lancée de bravoure qui les jette sur
la trace de la moindre manifestation homophobe. Autrement, s'ils devaient prêter
l'oreille à toutes les insultes, aux tristes rengaines anti-gay et souvent
religieuses, aux menaces verbales dont ils font l'objet au quotidien, je pense
qu'ils auraient tous jeter l'éponge de ce combat pourtant pertinent... La
surdité de Thiossane explique également en partie la manière dont le récit est
mené et répond à une psychologie particulière, un cheminement de la pensée, à
la fois direct et saccadé, ordonné et détourné, profond et complexe, propre aux
déficients auditifs. Je puis l’affirmer avec certitude parce que je suis
moi-même sourd depuis l’âge de 9 ans, que j’ai très bien connu le monde des
sons avant de perdre la faculté de l’ouïe. Le texte est narré à la première
personne du singulier de telle façon qu’il est inévitable qu’au moins dans la
forme, les caractéristiques principales du narrateur y soient incarnées.
Celui-ci est effectivement homosexuel, et l’histoire qu’il relate a
essentiellement trait à sa condition d’homosexuel. Mais il est également sourd,
de sorte que l’évocation de sa réalité homosexuelle se fait normalement à
travers le prisme de la surdité. Par l’agencement et par le rythme du texte,
j’ai donc voulu suggérer les réactions de la conscience lorsqu’elle se trouve
en butte à l’univers des sons. Le sujet sourd a tendance à recréer
inconsciemment, dans la formulation de sa pensée, les sons qu’il n’entend pas.
Aussi va-t-il toujours du détail pour dire l’essentiel, il est impulsif,
émotif, a de très fréquents moments d’ « absence », de rêverie, de « vase clos
» que ne parviennent à briser que de francs contacts physiques ou des chocs
visuels.
Je voudrais vous remercier de
ce brin de conversation... Je me permets de la laisser ouverte au lecteurs de
notre Webzine qui souhaiteraient vous poser d'autres questions...
Je suis disposé à répondre,
avec plaisir, aux questions éventuelles des lecteurs. Merci.
Un gros merci ! Vous avez une question pour Karim Deya ?
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